HistoireThere's always a before. « Emmenez-le. » que je souffle d’une voix neutre en rangeant mon arme dans son holster. Maîtrisé. Pas tué car des questions à poser. Je replace le col de ma veste noire, réflexe habituel poussé par le désir d’être toujours impeccable et irréprochable en toutes circonstances et je m’avance dans la pièce assez étroite. Regard circulaire. Quelque chose cloche. Elle est non seulement presque totalement vide mais elle est surtout trop petite alors qu’elle devrait être plus grande. Une voix derrière moi s’élève, un milicien qui a terminé sa formation il y a peu et qui a encore beaucoup de choses à apprendre car sa question n’a pas lieu d’être. Il l’imagine sans doute pertinente mais elle ne l’est pas : il demande pourquoi un homme serait armé et userait de son arme contre la milice alors qu’il n’y a rien à défendre. L’ombre d’un sourire naît sur mes lèvres alors que je me tourne vers lui. L’homme n’avait pas rien à défendre : il a juste voulu faire croire qu’il n’y avait rien, nuance. J’invite la jeune recrue à s’avancer et à observer avec plus d’attention la pièce, les détails, le sol, les murs, le plafond tout. Et je laisse faire : il faut bien qu’il apprenne. Mon sourire se fait plus fier et satisfait quand je le vois approcher de ce qui a attiré mon attention à l’instant où l’homme a été maîtrisé. La jeune recrue se tourne subitement vers moi et je hoche la tête : oui, il y a bien une démarcation sur le mur qui ne devrait pas se trouver là. Comme si ce mur n’en était pas vraiment un. Ils sont mâlins… Fous de tenter de mentir et de se cacher mais mâlins. D’un geste de la main, je l’invite à poursuivre, avant de replacer ma propre main sur la crosse de mon arme à feu, sait-on jamais. Les mains de la jeune recrue touchent le mur et il termine par appuyer un peu sur ce dernier. Un petit « clic » se fait entendre. Le système d’ouverture est enclenché. D’ailleurs, la porte déguisée en mur s’ouvre. Il recule, dégaine son arme et je le laisse faire, je le laisse être en première ligne : s’il n’est pas capable d’assurer maintenant, il n’en sera jamais capable. Il n’a finalement pas besoin d’user de son arme puisque la femme qui se trouve dans la pièce cachée n’est pas armée. Je soupire et secoue la tête quand je les vois, elle et ses trois enfants. Un de trop. L’enfant dont l’existence suspectée nous a poussés à venir jusqu’ici aujourd’hui. Je fais signe à mes hommes de pénétrer à l’intérieur de la pièce et m’éclipse.
◈ ◈ ◈
« Je veux voir mes enfants.
- Qui vous aide ?
- S’il vous plaît…
- Qui vous aide ? »
La femme arrêtée quelques heures plus tôt se mord la lèvre inférieure et secoue la tête de droite à gauche, au bord des larmes et moi de croiser les bras en m’adossant contre le dossier de ma chaise.
« Pourquoi vous faites ça ? Pourquoi aller contre la loi ? En ayant conscience des conséquences au moment où vous vous ferez prendre. En ayant conscience qu’au final, vous allez ruiner plusieurs vies, les vôtres, celles de vos enfants… Vos deux premiers enfants qui ne méritaient pas de perdre leurs parents. »
D’un geste rapide elle essuie ses larmes.
« Parce qu’on ne devrait pas essayer de contrôler la vie. »
Je me redresse et me penche vers elle en posant mes mains sur la table. Regard froid. Ton dur. Visage résolu.
« C’est ce contrôle qui nous permet de survivre.
- Justement… On ne veut pas survivre nous. On veut vivre. »
A mon tour de secouer la tête de droite à gauche, de dépit.
« Bon courage pour ça à l’extérieur. »
Sur quoi je me redresse.
« Attendez ! S’il vous plaît, laissez-moi vois mes enfants avant que nous partions. »
Je fronce les sourcils. Elle a dit « nous ». Oh.
« Parce que vous croyez que votre mari part avec vous ? Il a tiré sur un milicien, a failli le tuer. C’est la peine capitale pour lui. »
Ses yeux s’écarquillent d’horreur.
« Conséquences. Conséquences. » je répète par deux fois avant de me détourner d’elle. Elle qui me hurle de lui laisser la possibilité de voir ses enfants. Non. Hors de question. Elle ne reverra pas ses enfants mais elle aurait dû y réfléchir avant. Ils auraient dû y réfléchir avant. Les règles sont les règles. La loi est la loi et sans cet ordre que nous essayons de maintenir à tout prix, ce serait le chaos. Pourquoi donc ne le comprennent-ils pas ? Pourquoi nous forcent-ils à faire du mal et briser des vies alors que nous pourrions tous vivre en paix ?
Pourquoi ?
And there's always an after. Assis sur une chaise, mains croisées sur mes genoux, je fixe le sol. Sourcils froncés. La boule qui me noue la gorge devient, au fil des secondes, de plus en plus imposante, oppressante, étouffante. Je voudrais pouvoir me réveiller et réaliser que tout ceci n’est que le fruit d’un mauvais rêve, que mon imagination me joue des tours monstrueux. Mais pas de réveil possible, non. C’est la réalité. Ma réalité. La nôtre à moi, Sacha, et Jealyn. Jealyn… Penser à son visage me donne la nausée. Nausée provoquée par la douleur de l’infâme trahison. L’infâme trahison qui fait naître des larmes dans mes yeux qui, je le sais, brûlent de colère, de rage, de haine. Une haine qui m’en fait serrer les poings. Comment a-t-elle pu ? Tout ce temps ? Etaient-ce là ses seuls mensonges ? M’a-t-elle jamais aimé ? A-t-elle accepté de m’épouser pour pouvoir accomplir ses basses besognes en toute sécurité puisqu’elle était l’épouse d’un milicien de renom ? Ai-je été à ce point-là manipulé ?
« Vas ? »
Je ferme les yeux quand j’entends sa voix et ne les rouvre pas quand j’entends ses pas se rapprocher de mon dos.
« Qu’est-ce qui se passe ? »
Elle semble inquiète. Rien qu’au ton de sa voix. Vérité ? Mensonge ? Une comédie supplémentaire qui s’associe au reste ? Je reste muet. Je perçois ses mouvements, mais ne réalise qu’elle s’est agenouillée face à moi que quand elle pose ses mains sur mes joues dans un geste tendre. Un geste qui me fait rouvrir les yeux pour les planter dans les siens. A peine ai-je plongé mes prunelles sombres dans les siennes que son visage se peint de davantage d’inquiétude.
« Raconte-moi… »
Je serre les poings sur mes genoux.
« J’ai été trahi… » je parviens à articulier la voix serrée, froide.
Sur mes joues, ses doigts se mettent à trembler. Peut-être qu’elle comprend. Peut-être pas.
« Quoi ? Par qui Vas ? »
Je pince les lèvres, fronce les sourcils ayant de plus en plus de mal à contenir mes larmes. Ma mâchoire se crispe, je secoue la tête de droite à gauche et je perçois ce moment où elle saisit. Je le perçois nettement car son regard change. La terreur vient doucement mais sûrement habiter ses traits alors que les miens se tordent de douleur et de rage. Au moment où elle retire ses mains, je ne suis plus dans la capacité de retenir mes larmes. Elle a véritablement peur. Elle a raison d’avoir peur. Elle n’a pas fini d’avoir peur.
« Qu'est-ce que tu sais ?... »
La question me fait l'effet d'une gifle. Je laisse échapper un rire amer.
« Vraiment ? C'est la première chose que tu as à me dire ? »
Elle ferme la bouche, ses lèvres tremblent.
« J'en sais assez. J'en ai vu assez.
- Il faut que je t'explique...
- M'expliquer quoi ? Que tu m'as menti ? Que tu m'as trahi ? Que tu as trahi tout ce pour quoi je me bats ? Trahi le dôme ?
- Je ne t'ai pas trahi Vas, s'il te p...
- Non. Je ne veux pas t'entendre. »
Je me redresse, m'éloigne d'elle. Il faut que je m'éloigne. Du coin de l'oeil, je vois qu'elle se redresse également.
« Il faut que tu m'écoutes parce qu'il faut que tu comprennes que tout ce qui se passe, c'est mal Vas.
- Comment ça « tout » ? »
Je m'arrête pour la regarder, poings serrés, mâchoire crispé. Les larmes qui coulent sont un mélange de douleur et de rage. Un mélange fatal.
« Ces choix qui sont faits pour les autres. On ne devrait pas faire ça. On ne devrait pas choisir qui a le droit de vivre ou non, qui a le droit à une chance ou non. Ce n'est pas bien. Ce n'est pas juste.
- Nous essayons de faire survivre l'humanité et ça implique des sacrifices.
- C'est facile de parler de sacrifices quand on ne les fait pas. »
Ma bouche s'entrouvre sous la surprise. Je ne reconnais pas ma femme. Je ne la reconnais plus. Je me suis tellement fourvoyé...
« Si tu pouvais comprendre ce que ces gens traversent...
- Parce que toi tu les comprends peut-être ? Avec la vie que tu mènes ici tu les comprends ? »
Elle esquisse un sourire triste et hoche la tête.
« Oui je les comprends parce que je les vois, leur parle, les aide...
- Ah ça oui, tu les aides. Depuis combien de temps d'ailleurs ?
- Quoi ?
- Depuis combien de temps dure cette mascarade ? Tes mensonges ? Hein ? Depuis quand tu te faufiles dans les bas-fonds pour aller aider des clandestins ? »
Elle ferme la bouche, ses yeux s'habillent de larmes silencieuses et je comprends. Je comprends et la douleur que cela provoque est violente, si violente en fait que je fais un pas en arrière. Elle m'apparaît soudain floue à travers mes larmes.
« Tu le faisais déjà... Quand tu m'as rencontré... Avant qu'on se marie...
- Vas...
- Alors c'était pour ça ? Que tu as voulu épouser un milicien. Sois enfin honnête Jealyn. Sois enfin honnête ! C'était la planque rêvée, n'est-ce pas ?
- Je te jure que n...
- TAIS-TOI ! »
Le ton monte. J'explose. J'attrape la première chose à portée de main, une chaise, que j'envoie valser plus loin et qui se retrouve en morceaux au sol. Je pointe un index tremblant de rage dans sa direction. Car en cet instant, c'est bien tout ce qui subsiste : la rage.
« Je ne veux plus entendre tes mensonges, c'est clair ? Plus un mot ! »
Je serre le poing et fais un pas vers elle. Elle qui recule. Elle qui a visiblement peur de moi et au milieu de la rage, ça fait mal. Cette crainte soudaine qu'elle a de moi fait excessivement mal. Mais je ne montre rien. A elle, je ne lui montrerai rien. Plus rien. Je me détourne d'elle un instant, juste le temps de m'approcher du meuble, ce fameux meuble qui m'appartient, ce fameux meuble où je range mes affaires de milicien, mes armes, mes menottes dont je me saisis avant de me retourner vers elle. Regard froid. Je ne suis plus que glace face à elle.
« Mains derrière la tête.
- Vas, je t'en supplie... Pense à nous... Pense à Sacha...
- Et toi, tu as pensé ? J'ai dit mains derrière la tête. » je répète une seconde fois les dents serrées. Elle s'exécute, vient poser ses mains derrière sa tête tout en se retournant. Sur quoi, je viens me saisir de ses poignets pour les emprisonner dans mes menottes, que je serre un peu trop au point de lui arracher un petit gémissement de douleur. « Jealyn Dementiev, vous êtes en état d'arrestation pour haute trahison. »
◈ ◈ ◈
La porte de la pièce qui me sert de chambre se referme derrière moi. Je reste un instant adossé contre cette dernière. Mes yeux fixent le vide, incapables de s’en détacher. Le néant qui s’est emparé de moi quand j'ai croisé pour la dernière fois son regard avant qu'elle ne soit envoyée hors du dôme est petit à petit consumé par la tristesse, la détresse, la douleur, l’horreur. J’ai fait ce qui devait être fait mais… Mais… J’ai l’impression de tomber au ralenti, j’ai l’impression qu’il se passe de nombreuses secondes avant que mes genoux ne viennent toucher le sol après que mes jambes aient décidé de me lâcher. Je finis en boule, au sol, les mains plaquées contre mon visage inondé par des larmes qui me brûlent à vouloir en hurler. Le cri reste cependant bloqué dans le fond de ma gorge. J'ai perdu ma femme. Par sa faute. Je la hais. Je l’aime. Je la hais.
Je me hais.