Heather Rowe - Calluna vulgaris

Anecdotes

Elle écoute plus qu'elle ne parle ◈ On pense parfois qu'elle joue un rôle mais elle est naturellement impavide ◈ L'agilité et la vitesse sont ses atouts. ◈ Ses rires sont suffisamment rares pour qu'on s'en souvienne ◈ Elle considère que la moralité s'arrête là où la justice commence.

Histoire

Ses parents, elle les a effacés de sa mémoire. D'eux, il n'y rèside que le nom qu'ils lui ont donné, et une voix, la comptime, plus exactement, d'une mère sans visage dans la froideur des rêves. Prise sous l'aile de Medrick, elle fut giflée jusqu'à devenir sourde des bruits résiduels de ce passé. On a viré ses parents d'Helion, des pauvres connards de bas niveau qui avaient fauté, et la gamine de treize ans... on en ferait quoi ?  Pas assez bien, pour convenir à Helion. L'enterrer six pieds sous cette terre froide ?
Les miliciens étaient intransigeant mais de là à tuer une enfant ?!  Alors Medrick, ce milicien de Reiver qui avait enquêté sur les adultes, fut chargé de recadrer la gamine. Le propre bourreau de ses parents est devenu son père de substitution...  Le passage à tabac ne s'est pas fait en douceur. Heather ressemblait à un animal sauvage, trop choquée, sans doute, d'être devenue orpheline sans comprendre pourquoi. Les tessons éclatés de son enfance, elle les a tenus comme des armes. Pas de pleurs, rien qu'une rage assourdissante pétrie d'illusions, bientôt quatorze ans et voilà qu'elle souhaitait que Reiver brûle, qu'elle voulait voir Medrick se noyer dans un sang qu'elle aurait fait gicler de sa gorge ; aller plus loin, contempler les yeux révulsés du milicien jusqu'à la fin de sa lente, très lente agonie. Et puis après cela ? Qu'aurait-elle fait ? Mourir, quelque part ; rester vivante ne faisait pas partie de ses prérogatives.  Des illusions... rien que des illusions, bien sûr, mais visibles sur ses traits tirés par la fureur. Medrick l'a compris dès qu'il l'a vue. Une gamine de treize ans qui ne craint pas la mort, le fardeau du milicien est devenu de la curiosité :  ce regard aliéné, ces dents dévoilés, prêts à mordre... bordel, il y avait des chances, de fortes chances, qu'elle devienne une bonne recrue une fois mâtée ! Le monde du dehors, il avait eu l'occasion de le voir. C'était le désordre qui menaçait et une enfant n'allait pas en porter l’étendard. Rien à foutre qu'elle soit trop jeune, elle allait manger la poussière à chaque signe de rébellion... il ne serait pas tendre.
Il ne l'a pas été.

Elle garde encore quelques séquelles : là un genou mal remis dont les terminaisons nerveuses sont allées se faire voir ailleurs, ici une cicatrice sur l'omoplate due à une chute sur le coin d'une table -elle aurait pu en mourir, c'est certain.
Une enfant de treize ans entre les murs de Reiver se devait de faire profil bas... ce n'était pas commun. En grandissant cependant, d'autres sont arrivés. Contrairement à elle, ils étaient là par choix, fiers d'avoir rejoint les rangs.
Elle se recevait parfois deux, trois croches pattes suivis de rires gras.
"Eh, Heather, tes parents, ils sont où ?"
"Hey Heather,  t'as dû faire quoi pour que ce milicien te garde ? Vraiment dégueulasse !"
Sauf que ces quolibets et ces brimades... qu'est-ce que c'était, en comparaison de ce qu'elle avait déjà ramassé ? A force, certains ont fini par se laisser... ce n'était pas marrant, elle s'éclipsait trop vite et semblait insensible aux moqueries.... insensible. A force de se recevoir les attaques d'un Milicien entrainé, elle s'était habituée à ce rythme de vie... l'isolement, dans une chambre, une porte fermée à clé, il y a des choses qu'ils ne savaient pas...
Elle a tant et si bien appris qu'un jour, alors que Medrick avait fait mine de la baffer, elle s'était reculée si vite qu'ils s'étaient tous les deux figés, stupéfaits l'un comme l'autre. Son réflexe avait été d'une vitesse incroyable.
— C'est très bien, Heather. que lui avait dit Medrick. A sa propre surprise, il lui avait souri. Elle aurait dû comprendre qu'à ce moment là, il se souriait à lui même...
Il avait réussi.
La gamine qui rêvait de venger ses parents avait été effacée sous le joug des punitions, des menaces et des marques laissés... tant qu'on ne les comptait plus, mais jamais sur le visage, jamais. Lorsque le temps avance et que les années défilent, les bleus s'étaient résorbés comme si elle les avait absorbés.
Les attaques, en revanche, elle ne les encaissait pas, elle les parait. Elle s'était fait quelques contacts, des personnes qui déploraient qu'elle soit toujours un peu, disons, ailleurs... loin d'eux, même dans le groupe, même quand tout le monde riait aux éclats en s'envoyant des coups de coudes, Heather avançait, silencieuse, les mains dans les poches. On le savait, on l'acceptait ; parce que frapper sur une surface dure faisait un bien fou mais que combattre quelqu'un qui évitait les gestes, c'était comme de frapper du vent. Inutile.
La défense, Heather en a fait l'adage de son quotidien.
Elle a progressivement gravi les échelons. Elle n'avait pas d'autres choses à suivre, si ce n'était ce chemin que le milicien lui avait enfoncé dans le crâne.
"— Grâce à mes méthodes tu es en vie !
— Je sais
— Si tu n'as pas rejoint tes parents, c'est parce que Reiver a vu du potentiel en toi !"
— Je sais !"
Une claque à l'arrière du crâne.
— Baisse d'un ton et retourne t'entraîner !

Il n'avait pas perdu l'habitude de lui filer des ordres. S'entraîner.... s'entraîner... ne faire que cela. Tracer au milieu d'un couloir sans s'attarder sur d'hypothétiques regards, une sorte d'automate qui vit et qui ressent ; on ne savait pas trop quoi en dire, de cette femme. Elle n'aimait pas vraiment l'aventure, le frisson ou l'adrénaline, tout cela ne remplissait rien dans sa vie ; mais la défense, en revanche, c'était comme de consolider une chose tangible qui existe. Garder des réserves envers et contre tous, ne faire confiance à personne, surtout pas à soi-même. Ce sentiment, certains officiers le partageaient. A force, elle est devenue un peu détachée de l'aspect humain. Elle le fait comme on doit le faire, comme un geste usuel, comme découper de la viande et mettre les morceaux sur le feu, à force d'habitude, on ne ressent plus. La torture morale et physique, rien de mieux que de les connaître pour savoir comment les appliquer. Mais elle n'en retire aucune joie, contrairement à d'autres, et cela l'exaspère d'ailleurs : la faiblesse des émotions.
Trente-quatre ans aujourd'hui. Voilà un mois que Medrick est mort.
Et le temps continue de filer...

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