HistoireSes bras…Mes cries…
Leurs joies…
Je suis née en 2455 sous la bénédiction du dôme de fer, entourée des bras aimants de mes parents. Lorya et Driss. Je n’aurais pu rêver mieux. Deux âmes pures qui me donnèrent tout l’amour dont j’eus besoin. Certes, dans un milieu modeste, mais chaleureux. Elle était ménagère, il était ouvrier. Tous deux essayant de sortir la tête de l’eau, pour leur fille. S’attardant au travail pour essayer de gagner un salaire correct. Les temps étaient difficiles, et ils n’hésitaient pas à me donner un peu plus de confort pour parallèlement s’en priver. Ils étaient la seule chose que j’avais, que j’aimais et je leur rendais bien. Fille unique, je pouvais également m’avancer en disant qu’eux aussi étaient uniques. D’un caractère discret et délicat, ils me savaient attentionnée, je les savais généreux. On partageait des moments paisibles et sobres. Je me souviens d’une chose que l’on faisait tous les dimanches, une main dans chacune de les leurs, on partait en direction de la serre d’Helion, pour aller y respirer un air un peu plus doux. Admirer la douceur des fleurs, et observer les petits animaux qui servaient au bétail, mais ça bien sûr je ne le savais pas encore. Des moments simples qui suffisaient amplement à fournir notre bonheur. Une famille avec beaucoup d’humilité et de courtoisie. Un mot n’avait jamais dépassé un autre, jamais un coup n’était sorti. Ils se complétaient tellement.... Même si nous vivions dans un quotidien serein, je savais que secrètement, ils m’avaient dévoué leur vie, sans rien attendre de retour… Peut-être trop...
Peut-être qu’ils n'auraient jamais du...Notre peurs…Leurs coups...
Ma terreur….
Vint ce jour, ce dernier jour d’une vie paisible. Le dernier coup de clocher, leurs derniers coups de sifflets. Ils arrivèrent, avec leurs têtes de chien, leurs têtes vicieuses, sans une once de bienveillance. J’avais alors aux alentours de seize ans. Une jeune fille encore dans la fleur de l’âge, loin de s’être découverte. Mais les événements décideraient pour moi, de quelle manière je passerais au stade de jeune femme. Je revois encore leurs mains descendre sur moi, ce dégoût dans ma bouche, cette terreur qui m'envahissait. Et mes pauvres parents, lorsqu’ils avaient ouvert la porte, ce fameux jour, notre vie avait basculé, pour passer de pureté aux ténèbres, sans qu’on comprenne vraiment comment. Deux étrangers, deux vermines, avaient élu domicile chez nous, sans vraiment nous laisser le choix, sans ME laisser le choix. Faisant du chantage à mes parents, au moindre signe pour les dénoncer, ils m’affublaient de coups, me laissant des coquards et des balafres.
Pendant quatre mois, ou plutôt une décennie à mes yeux; j’eus le droit à ce châtiment. Essayant de comprendre pourquoi? Pourquoi notre sort était-il devenu souffrance et agonie? Au moindre mouvement de ma mère ou de mon père, je pouvais être sûre de ressentir à nouveau cette brûlure au fond de moi. De sentir leurs corps, devant les yeux effrayés de mes parents, longer le long du mien. Férocité et dureté, leurs gestes étaient cruelles, attrapant mes cheveux pour me tirer dans toute la pièce. Je revois encore cette ceinture qui m’a brisée, ses mains qui m’ont épuisée. Nous vivions dans un quotidien garni de monstruosité. Ils allaient au travail, comme si de rien n’était, pendant que je restais à la maison avec ces horribles bêtes. Je voyais l’impuissance dans le regard de mon père, et l’abattement dans celui de ma mère...Pendant que j’endurais, que je subissais, dans le silence le plus profond...
Son sang…
Nos cries…
Mes pleurs…
Des coups à la porte se firent entendre. Pris de panique, nos deux clandestins allèrent se terrer sous les lattes de ma chambre. Ils avaient tout prévu, se préparant au pire, une cachette de fortune avait été fabriquée pendant ces quatre longs mois. Je n’en revenais pas lorsque les deux miliciens étaient entrés pour fouiller notre bloc. Je regardais ma mère avec espoir et confiance. Me disant que nos vies allaient enfin redevenir à la normales. Que nous allions pouvoir retrouver cette paix qui nous entourait. Sachant que les contusions et les hématomes resteraient, bien trop ancrés en moi, le pire étaient les fractures de l’intérieur. Cette fleur qu’ils m’avaient enlevée, qu’ils m’avaient arraché… Mais de me dire que mes parents étaient là pour m’accompagner dans cette convalescence, soulagea légèrement mon anxiété.
Malheureusement, malgré le fait d’avoir pris le temps, les miliciens ne crurent pas les dires de ma mère, lorsque finissant leurs recherches, rien ne fut trouvé. Ils partirent, malgré nos supplices, malgré nos larmes…
La porte claqua, quelques secondes passèrent, et la fin arriva. Attendant que les deux miliciens s’éloignent suffisamment, le plus grand de nos ravisseurs sauta sur ma mère avec un rire moqueur. Le plus petit était très énervé, je voyais la haine dans son regard. Son hostilité voulait nous faire payer notre acte. Quelle erreur d’avoir voulu s’en sortir, quelle erreur…
Un couteau en main, un sourire narquois, ils nous fixaient tout en la maintenant. Le plus petit tenait mon père, tête contre le sol dans l’incapacité de bouger. Moi je les regardais impuissante, mes pauvres bras paralysés par la peur. L’énorme canif glissa tout le long du buste de Lorya. Entaillant chaque parcelle de son corps. Sous mes yeux, je vis ses tripes sortir, se débattre pour sortir de leur hôte, encore vivante, criant d’agonie. Puis lentement, savourant chaque instant, il lacéra sa gorge, le sang jaillit sur mon visage, j’entendis les pleurs de mon père à côté. Le dernier râle de ma mère, son dernier souffle pour glisser doucement sur le sol, à mes pieds. Ses yeux verts encore ouvert, me fixait, essayant de partager une dernière parole, un dernier baiser…
Mais ces bâtards n’en avaient pas encore fini. Mon père prit de pulsions, envoya valser le plus faible contre le mur. Dans un coin, tétanisée, je l’observais dans l’espoir qu’il nous sauve, qu’il mette un terme à ce cauchemar. Mais lorsque je vis la hargne dans le regard de nos ravisseurs, une petite voix me dit que c’était trop tard. Que nous avions dépassé la limite qui nous maintenait en vie. Alors discrètement, je décidai de le laisser, d’en profiter. Je savais que ce c’est qu’il souhaitait, il n’aurait pas pu supporter de voir sa fille mourir sous ses yeux.. Décidant de rejoindre sa femme, je m’échappai lorsque Driss occupait les deux assassins.
Courir..
Courir, ne plus t’arrêter, ne pas te retourner.. Surtout ne pas le regarder… Je ne su combien de temps, mais je courrais, sentant l’air fendre mon visage comme je ne l’avais senti depuis bien longtemps. Je trouvai enfin un groupe de miliciens, m’effondrant à leurs pieds… Seuls, les numéros de mon bloc sorti de ma bouche, avant de tomber…
tomber dans le noir complet.Leurs morts...Ma haine…
1.2.3... Réveille-toi Kae.
Une main posée sur mon épaule me rappela que le cauchemar, dans lequel je pensais perdre pied, n’était que les songes du passé. Le regard inquiet d’Eiven posé sur moi, me fit comprendre où j’étais. Dans ma chambre, à Reiver, que j’occupe depuis maintenant huit longues années. Des débuts difficiles, des problèmes de santé, une adaptation très anguleuse. Je ne pouvais, et je ne peux encore aujourd’hui parler à tout le monde, m’ouvrir à tout le monde. Et cette angoisse, cette angoisse qui me suit jour après jour, que je n’arrive pas à laisser derrière moi. Me tyrannisant en m'empêchant de dormir, pour que, les seules fois où je puisse trouver le sommeil, elle me berce de ces évènements enracinés dans mon inconscient. Les deux années qui ont suivi l’accident, ne m’ont pas vraiment aidée. Entourée de ce que je pouvais définir comme les enfers pour moi, l’enfer en métal, je ne savais où aller. Entre le dispensaire, qui m’avait encore plus renfermé sur moi-même. J’ai fini par vivre chez un Sergent du nom de Davis. Il n’avait pas à le faire, aucune obligation, mais il m’a recueilli chez lui quelque temps avant d’avoir l’idée de m’envoyer à l’avant-poste. Chose qui ne pouvait que m’être bénéfique. Les débuts furent amers. J’avais pour rôle d’entretenir les locaux. Chose qui m’allait, à part causer à mes balais, même si c’était un peu morose, je m’y suis faite.
Leurs galops…Ma passion...
Sa crinière...
Errant docilement sur le béton de Reiver. Je me sentais vide, certes, plus en sécurité qu’au dôme, mais éteinte, une flamme qui avait cessé de vivre. Puis j’ai senti ce souffle épais sur mon épaule. Il était alezan, d’un alezan feu. Il incarnait à mes yeux la noblesse, la liberté. Imposant et doux à la fois, j’aimais me perdre dans leurs yeux. Les chevaux, l’écurie, c’était devenu mon lieu. Le seul endroit où je pouvais être enfin moi. Me sentir chez moi, comme la douceur du foyer que j’avais jadis perdue.
J’ai retrouvé en Adrian, l’ancien responsable des écuries, une forme de soutien. Peut-être la première personne à Reiver qui réussit à me faire parler, peut-être la première personne qui réussira à décortiquer cette carapace d’acier que je m'étais inconsciemment forgée. M’apprenant à comment parler aux chevaux, me montrant la délicatesse de leurs gestes, et la force de leurs endurances. Pendant quelques années je travaillai à ses côtés, lorsque vint son tour de partir. Une perte que j’ai très mal vécue. Me laissant seule avec ces nobles bêtes, je pensais ne pas avoir les épaules pour en assumer la charge, mais on ne me laissa guère le choix. Peut-être que c’est ce qu’il me faut ? Que l’on m’oblige à aller de l’avant, que l’on m'impose des responsabilités, des choix. Comme le choix de sortir. Bon nombre de fois, on avait essayé de me l’imposer. Chose que je n’arrivais pas encore à concrétiser.
Mes tremblements….
Leurs motivations…
C’était loin d’être suffisant….
Quand mes équidés revenaient des missions en extérieur, mille et une question me passait par la tête. La vision du monde par leurs yeux peut être tellement différente, je voulais prendre cette position. L’exploitation de Reivers me poussait bon nombre de fois à sortir. Mais cette boule dans ma gorge, dans mon ventre, me tétanisait, me paralysait. Une jambe dehors, et mon corps se mettait à trembler, incontrôlable. Peut-être que le temps calmera ces tourments. Je ne peux pas encore le dire, je n’en suis pas très sûre. Mais ma persévérance serait mon atout. prête à m'entraîner, à me forger pour quitter enfin cet état lamentable dans lequel je me percevais. Mais lorsque j’aperçois cette énorme barrière grise qui nous sépare du monde, je sens ce ravin, ce fossé… qui se creuse.
Aide-moi…Prends-moi dans tes bras…
Secours-moi..