Carbone renforcé - Nori

Le souvenir de cette pluie acide semble être un lointain souvenir. Pourtant, toute la vie du camp se retrouve chamboulée. Les plantations sont mortes donc ils sont obligés de se nourrir sur les réserves. Comment tiendront-ils ainsi ? Cette question semble brûler toute les lèvres, décideurs ou non. Plus que jamais, Steros peut être victime de pillage, chose assez commune à l’extérieur. A tel point que c’est son clan, en fin d’année, qui a été décimé en totalité. Aloy est venue lui apporter la nouvelle, précisant que seule deux personnes du clan de la forêt ont survécu : un homme et son fils. Le jeune homme n’avait pas vraiment su comment accueillir la nouvelle. La vie du clan ne lui semble n’être qu’un épisode alternatif de sa vie, une chimère dont il ignore s’il y a vraiment vécu ou non. Sa vie là-bas s’était de toute façon s’était achevée sur un drame, un drame qui l’a poussé à se fermer sur lui-même.

Il faut protéger Steros, qu’ils ont décidé. Cela revient à se jeter dans la gueule du loup. L’aveugle a déjà donné pour le Guide, il ne veut pas lui faire ce plaisir à nouveau. Mourir prématurément n’est pas son but, même si la vie ne lui a pas fait de cadeau. Il n’est pas le seul dans ce cas-là et il n’a jamais eu l’envie de se laisser abattre ainsi. On lui avait déjà demandé s’il comptait faire parti de l’expédition vers Hélion. Nori ne sait pas. Son instinct et sa morale le pousse à y aller, sans réfléchir, se jeter tête baissée, mais quand il voit la cicatrice sur son abdomen, il se demande si cela en vaut vraiment la peine. Il aurait aimé pouvoir parler avec Caelyne pour lui confier ses doutes, mais celle-ci semble bien trop prise par le travail. Nori soupire. Il pense beaucoup trop à elle ces derniers temps. La façon dont ils s’étaient séparés lors de la veillée l’a laissé un peu amer, un peu perdu. Non pas qu’ils se soient disputé, mais cela réveille tout un tas de questions intrinsèques. Il soupire à nouveau, quand il se rend compte que quelqu’un s’approche de lui avec une certaine détermination. Il retire alors ses écouteurs, qui l’ont isolé du monde jusqu’à présent. Il reste dans un moment latent, où il attend que quelque chose se passe :

— Bonsoir Nori, comment vas-tu ?
— Oh, Hécate, s’exclame-t-il, étonné. Ca va super, si on peut dire. Et toi ?

Nori n'est jamais vraiment très honnête à ce genre de question, mais il n'est pas du genre à étaler ses problèmes comme ça. Surtout qu'Hécate n'a peut-être pas envie de les entendre. Il se redresse immédiatement du mur contre lequel il est adossé. Nori a promptement reconnu sa voix. Il constate que ce n’est pas habituel que lui et Hécate se parlent. Ils ont toujours entretenu des relations cordiales et pour son propre bien (sûrement), elle a toujours évité de se mêler de ses affaires. Il sait que d’une manière ou d’une autre, elle est assez proche de Zorhan, mais Nori n’était pas si proche de lui que ça pour poser ce type de question. La réalité, c’est qu’à l’époque, il s’en fichait totalement. Rien ni personne ne l’intéressait. Le protecteur consacrait la majeure partie de ses journées à travailler, à s’entraîner puis le reste du temps il restait seul, puisque Caelyne ne voulait plus avoir affaire à l’aveugle. Nori n’a plus envie d’être seul. Être aux portes de la mort lui a probablement fait réaliser un certain nombre de choses. Quelques jours auparavant, il s’était même pris une sacrée cuite, relâchant la pression des récents évènements et de l’ambiance morose. Vider les stocks d’alcool n’est certainement du goût de l’intendant, mais étrangement, il n’a rien dit. Nori sait qu’il sait, c’est lui qui gère les réserves. Il enroule les écouteurs autour du petit appareil avant de le ranger dans sa poche.

— Tu aurais deux minutes à m’accorder ? J’ai besoin de te parler.
— Ouais, vas-y. C’est pas grave au moins ?

Nori s’éloigne un peu du QG, peut-être souhaite-t-elle avoir une conversation sans que la moitié de ce qu’ils disent tombent dans les oreilles des autres protecteurs. Bien que son visage soit plus ouvert qu’auparavant, la demande d’Hécate lui fait froncer les sourcils, à la fois intrigué et un peu inquiet.

Clairement, Hécate n’a pas l’air au meilleur de sa forme, ce qui rend Nori un peu plus soucieux.

— Rien de grave non. C’est que… Je pense partir avec le convoi vers Hélion.
— Ah.

Sa surprise s’échappe d’entre ses lèvres, sans pour autant que l’on puisse savoir si la surprise qu’il éprouve est positive ou négative. Nori ne fait aucun commentaire supplémentaire. Partir vers Hélion n’enchante personne, à vrai dire. L’aveugle est encore moins enchanté depuis sa blessure. Surtout que toute cette mission doit faire jubiler Aliam. C’est cette idée, surtout, que malgré la réticence de Nori, celle de Zorhan et celles d’autres probablement, Aliam a eu ce qu’il veut. Nori ne peut parler de ceci à personne et même s’il en a parlé à Zorhan, il ne va bien entendu pas en parler à n’importe qui. C’est bien trop important, bien trop grave.

— Et si Steros survit tant bien que mal, je sais qu’à l’extérieur, un convoi de marchandises attirera forcément toutes sortes de personnes bien et mal intentionnées. J’aimerais que tu me prépare au dehors Nori, j'aimerais que tu m’entraines au combat.

Nori est si décontenancé qu’il en reste silencieux. Lui ? Former quelqu’un ? La préparer à l’extérieur ? Le combat est une chose, l’extérieur, c’en est une autre. Eclaireurs et protecteurs se battent avec des armes différentes, des armes qu’ils choisissent en fonction de ceux qui peuvent les former et des armes proposées dans l’armurerie. Mais oui, un convoi de Steros sera forcément très visible, elle a raison sur ce point. Et il reconnait aussi que dans ces conditions, mieux les gens peuvent se défendre, moins les pertes peuvent être importantes. Cependant, il répète, tout de même interdit :

— Tu veux que je t’apprenne à manier un sabre ?

Il marque une pause, avant d’ajouter, ayant noté sa réaction peut-être un poil désobligeante :

— C’est bien la première fois qu’on me demande ça… Par contre, je ne peux pas t’aider pour grand-chose sur l’extérieur. Je reste très dépendant des autres en terrain inconnu. Je ne suis bon que pour le combat. Pas pour le repérage d’ennemi à longue distance, et ça… c’est quelque chose que tu ne peux apprendre que sur le terrain.

Il marque une pause, affiche un air soucieux :

— D’accord mais... Tu es sûre que ça ira, même si c’est moi ? C'est-à-dire, est-ce que t'as vraiment envie de te battre avec un aveugle ?

Il rit un peu nerveusement. Il ne se pense pas à la hauteur de ce défi lancé par Hécate, même s'il ne refuse pas sa proposition.

— Je ne te demande pas de me former à l’extérieur. Je... J’espère que mes anciens réflexes reviendront pour ce qui est du pistage et du camouflage.
— J’espère pour toi aussi. Qui sait ce qui nous attend à l’extérieur...

Décidément, Nori n’a pas envie d’y aller. Et depuis quelques temps, il est très tiraillé, par trop de choses. Sa blessure, le bastion, Caelyne, lui-même parfois. Des fois il se dit qu’il passe trop de temps à penser à toutes ses choses. Il pourrait choisir d’en parler avec quelqu’un mais à vrai dire, il ne voit pas vraiment à qui il pourrait s’adresser. En général, il parle avec Caelyne, mais d’une part, elle est trop occupée et d’autre part, il n’est pas certain de vouloir parler de la partie qui la concerne. En somme, Nori a décidé de partir avec le convoi. Pas pour se prouver lui-même aux yeux des autres comme il l’avait fait pendant longtemps, pour prouver qu’il ne méritait pas moins sa place ici qu’un autre mais plutôt parce que voir tous ces gens mourir comme ça, ça lui est bien insupportable. Surtout qu’il a la capacité de donner le change. Pas tout seul évidemment, mais il peut faire quelque chose, il n’est pas impuissant. Et tant qu’il pourrait aider, il le fera. Malgré les apparences, Nori pense souvent plus aux siens qu’à lui-même. A condition qu’il éprouve un sentiment d’appartenance, évidemment.

— Non, je veux que tu m’apprennes à me battre et à défendre les vivres que nous devrons ramener coûte que coûte sans être un poids pour les protecteurs.

Il acquiesce, la laisse poursuivre avant de donner son accord. Son soupir ne lui échappe pas ; elle semble soulagée. Elle pose ensuite sa main sur son avant-bras, il plie le sien comme par réflexe, se saisit de son bras comme elle est en train de le faire avec le sien, sans trop savoir lui-même ce qu’il fait.

— Disons qu’on peut commencer par le bâton avant le sabre si tu veux bien.
— C’est pas que je veux bien, j’espère bien ! il s’indigne presque, un sourire narquois pendu aux lèvres. Je sais pas qui risque le plus de couper l’autre en deux de toi ou de moi.

Il en rit presque. Ca n’a rien de drôle évidemment, de couper quelqu'un en deux, mais pourtant, ça l’amuse. Il rit plus, le gamin. Nori ne tarde pas à détacher ses doigts de l’avant-bras de la cultivatrice dans un froncement de sourcil ; il n’a pas l’habitude de ce genre de contact physique.

— Merci d’accepter. Si je te le demandes, c’est que je sais que tu ne portes aucun jugement. Contrairement à d’autres protecteurs qui me renverraient à mes champs en moins de deux. Et parce que j’ai confiance en toi.
— T’es sûre que tu devrais ? Je suis plutôt du genre fatigant, même pour les plus patients.

Il marque une pause, s’assurant de sa détermination puis contourne la blonde d’un pas décidé, avant de lancer :

— On a du pain sur la planche, donc si tu veux bien, on va commencer dès maintenant. Et après on tâchera de te trouver un sabre digne de ce nom. Et un bâton surtout.

— Ouais...

Si à première vue, Hécate semble étonnée, le ton de sa voix semble ensuite indiquer qu’elle s’en réjouit. Nori ne semble pas aussi ravi qu’Hécate à ce fait. Il pouvait toujours changer d’avis, mais maintenant qu’il s’était porté volontaire, il se voyait mal faire machine arrière. Il pouvait, c’est sûr, mais il ne veut pas. Les gens comptent sur lui, et il a toujours très peur de les décevoir en agissant de la sorte. Il ne peut pas ne pas essayer, c’est ce qu’il a toujours fait. Et après tout, il y a bien réfléchi. Sa blessure est bien cicatrisée, notamment grâce aux bons soins de Slown et le rebouteur qui a précédé cette dernière. Peut-être aussi grâce aux mixtures d’Hécate, mais ça, il ne le sait pas.

— Mais les citrouilles ne bougent pas, moi si.

Il rigole, mais il était loin de plaisanter avec ça. Il y a une légère différence entre couper une citrouille en deux et... une personne. Il est évident que la personne ne se laissera planter aussi facilement. Cependant, elle semble déterminée. Elle finit par ajouter qu’elle a fait le bon choix, et ne semble pas prête à le laisser filer maintenant qu’il avait dit oui, bien qu’il ne compte pas s’enfuir non plus.

— Je pense que tu en auras marre de moi avant. Moi aussi j'ai ma réputation, lance-t-il avec un demi-sourire.

Les ont dits n’ont pas toujours été positif à l’égard de Nori, et il y en a eu, il peut l’affirmer. Personne ne voit l’intérêt d’un aveugle dans un camp pareil. Mais il est toujours là. Le jeune homme tourne le dos à la dite sorcière alors qu’elle lui annonce qu’elle est prête, attrape deux bâtons un peu plus loin, s’assure qu’ils sont à peu près de la même longueur pour assurer un minimum d’équité. Il lui tend le bâton pour qu’elle le prenne puis s’éloigne un peu pour se mettre en position ; de biais, le bras bas mais le baton bien relevé de manière à ce que sa posture laisse transparaître le moins de zones vulnérable possible.

— Essaye de m’imiter pour la posture... Et essaye de me toucher avec le bâton. J’veux voir comment tu te débrouilles.