Just trying to make it. - Myho [ Terminée ]

Anecdotes


◈ Il a passé une grande partie de sa vie sans connaître la vie en société, dans des bâtiments, avec des  objets de mobilier ou de technologie. Même après des années à Steros, il y a encore des choses qui sont évidentes pour beaucoup de monde mais pas lui, comme les formules de politesse, la façon de calculer le temps en heures ou années, l'habitude de s'asseoir sur une chaise...Ce qui entraîne généralement des situations plus ou moins embarrassantes.

◈  Il est solitaire, et ça tombe bien, il est plutôt doué pour rester discret et se faire ignorer tant qu'il n'y a pas grand chose à faire. Ce sont ses manières qui le trahissent. S'il se fait remarquer, c'est parce qu'il n'a pas accomplit un code social correctement. Il fait de son mieux pour apprendre mais il a du mal à se rappeler de toutes ces règles qu'il trouve dérisoires et absurdes, vu qu’il n’a pas grandit avec.

◈ Il a bien conscience qu’il n’y pas de gens qui l’apprécient vraiment. Il agit toujours comme si ça ne lui faisait ni chaud ni froid. Au fond, pouvoir être proche de quelqu'un lui manque, mais il ignore comment en arriver là. Cependant ce n’est pas une chose à laquelle il pense souvent.

◈ Il ne sait ni lire, ni écrire, et ça lui va parfaitement. A ses yeux, toutes ces choses sont superficielles comparées au progrès technique qui peut rendre la vie plus facile. La seule beauté qui le touche, c'est les chansons ou les histoires qu'il a apprit dans son enfance. Il lui arrive de fredonner quand il est seul. C'est l’un de ces rares moment où il regrette vraiment de n'avoir personne avec qui partager quelque chose.

◈ Aussi méfiant et asocial qu'il soit, il apprécie de créer des objets pour soutenir la communauté. Il voit bien que Steros n'est pas parfaite, mais les gens font en sorte de s'entraider, et il est assez content de participer à ça. En même temps, il ne sent pas vraiment de loyauté avec cet endroit et s’il devait choisir entre sa survie et l’aider, il n’hésiterait pas. Il est reconnaissant mais jusqu’à un certain point.

◈Il est doué de ses mains, et il a apprit à maîtriser les circuits électriques, mais il est toujours plus à l’aise avec les matériaux plus simples.

Histoire



Si Myho ouvrait les yeux, la nuit, pour regarder devant lui, il pouvait toujours voir le visage ridé de Reevend.

 Il ne se souvenait pas d’une vie sans Reevend. Il avait toujours tenu sa main, quand ils marchaient. Il fallait beaucoup marcher. Reevend avait arrêté de le porter. Après, c’était toujours la même chose. Pas vite, ou difficile. Juste un pas devant l’autre. Et ça recommence. Il avait finit par trouver des jeux. Tracer une ligne dans la poussière. Différencier à l’avance les débris des rochers. Il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire quand ils avançaient. Silencieusement. Il fallait économiser le souffle. Reevend toussait, il crachait du sang dans un vieux bout de tissu brun. Myho s’était souvent demandé, en voyant les tâches s’élargir, s’il avait toujours été de cette couleur là, ou si elle était le résultat de tout le sang qui s’était accumulé.

 Il n’y avait personne d’autre. Parce que Reevend ne voulait pas qu’ils s’approchent de ces autres. Il avait ce grand manteau couleur poussière, et, quand ils surprenaient des voix entre des arbres, il le cachait dans la toile rêche et lui ordonnait d’être prêt à s’enfuir. Il y avait les grandes personnes à la voix agressive avec beaucoup plus d’armes qu’eux dont Reevend se méfiait plus que tout et qui le terrifiaient. Et puis les silhouettes en groupe, nombreuses, et il avait entendu des cris d’enfants comme lui parfois. Ceux-là, il n’en avait pas aussi peur, et il s’était même demandé ce qu’il se passerait s’ils s’approchaient. Reevend lui disait qu'ils voudraient aussi l'attaquer. Pour les voler, justement, et s'occuper de ces enfants. Myho et lui n’avaient pas grand-chose, pourtant. Mais il ne les croiraient pas, répliquait Reevend en secouant la tête, et c’était la fin du débat.

 Quand il parlait, Reevend lui apprenait à rester en vie. C’était ce qu’il disait tout le temps : « rester en vie ». Tu devras apprendre à retrouver ton chemin dans le ciel pour rester en vie. A allumer un feu pour rester en vie. A trouver le meilleur abri contre les pluies acides pour rester en vie. A choisir ton point d’eau pour rester en vie. A tailler des pierres pour rester en vie. A te fondre dans le paysage pour rester en vie. A tuer ce lapin pour rester en vie.

 Et quand Myho, en larmes, serrait entre ses petites mains tremblantes son couteau, incapable de décapiter le lièvre, Reevend ne le consolait pas. «  J’ai raison, Myho ! Tes gémissements ne vont rien changer. Si tu ne veux pas mourir, tu vas devoir le faire » . Il lui en voulait dans ces moments, mais, confusément, il était aussi en colère contre lui-même. Il avait peur d’être trop faible pour survivre. Il avait vu des cadavres. Plusieurs fois l’estomac vide, ou quand la chaleur le faisait s’évanouir, il avait cru que c’était lui, le prochain. Il ne se faisait pas d’illusions.

 Mais quelque fois, quand Reevend avait finit de lui apprendre la survie, il finissait par accepter de lui raconter une histoire, ou de lui chanter une chanson. Souvent, les deux finissaient par se mêler, et Myho écoutait, fasciné, la voix éraillée produire des sons inattendus et merveilleux. Le vieil homme souriait et il riait. C’était incroyable.

 Mais il devinait confusément que quelque chose lui échappait. Il voulait savoir. Un jour, il s’était réveillé. Il était tôt, Reevend dormait, il devait juste avoir finit son tour de garde. Il n’avait pas comprit ce qui avait perturbé son sommeil. La main sur le couteau, il avait regardé de tous côtés, prêt à se battre. Et puis il avait vu au loin les lumières  qui rougeoyaient dans la nuit. Des autres. Il s’apprêtait à secouer l’épaule de Reevend pour le réveiller, quand une pensée l’en avait empêché.

 Avant d’avoir pu réfléchir à ce qu’il faisait, il était partit. Il s’était coulé derrière les buissons épineux, les rochers, les morceaux de métal engloutis dans le sol qui parsemaient la plaine. Il avait atteint un pan de mur en ruine, au plus prêt des lumières et des bruits. Il s’était coulé contre la pierre froide, il n’avait pas osé regarder, à cause des cadavres : il écoutait. Les voix qu’ils n’avaient jamais entendues parlaient dans la nuit : et il n'y avait pas le mot « tuer ». Alors il s’était enhardit, le cœur battant à s’en casser les côtes, il avait doucement éloigné sa tête de l’espace protecteur, juste pour voir. Il avait distingué des toiles de tente, et derrière, des formes autour d’un feux. Des enfants comme lui se serraient contre des adultes, chacun écoutait attentivement la personne qui parlait, Myho les contemplait, fasciné, quand une main s’était abattue sur sa bouche, l’empêchant de crier.

 Il avait paniqué quelques secondes avant de reconnaître Reevend. Le vieil homme l’avait brutalement entraîné derrière lui, au loin. Myho n’avait pas protesté, soulagé d’abord, mais au bout d'un moment, un sentiment de révolte l'avait agité, il avait planté ses talons dans le sol, refusant d'avancer.

- Pourquoi on peut pas y aller ? Ils disent pas qu’ils veulent attaquer ! Ils sont comme nous ! Il avait protesté.

 Reevend s’était tourné si brusquement, ses yeux brillaient d’un tel éclat, Myho avait ressentit une peur instinctive mais le vieil homme avait simplement lâché un long soupir. « Il est temps », il avait dit, et il s’était assit, indiquant à Myho de l’imiter. Ce matin-là Reevend lui raconta tout. Comment il faisait partie d’un groupe de survivants, avant ; comment , un jour, en rentrant d’une chasse solitaire, il avait découvert que tout avait été détruit, et tout le monde, tué. Enfin, pas tout le monde. Il avait entendu des cris provenant d’un tas de vêtement sales : il avait découvert un bébé caché en-dessous. C'était Myho.

Il avait pensé le confier à d’autres survivants. Mais qui pouvait assurer que ce groupe là résisterait mieux que le sien ? Et lui, il avait longtemps était seul avant de rejoindre d'autres gens. Il était capable de survivre, et de protéger l'enfant. Surtout, n'importe quelle bande pouvait être celle qui avait tué les parents de Myho et tout leur camp. C’était impossible de faire vraiment confiance à aucun d’entre eux. «  Ces gens auraient pu nous tuer si tu étais allé leur parler, tu comprends ? On ne peut pas savoir. Ils ne parlent pas de tuer tout le temps, mais s’il le faut, ils te tuent. »

 Même s'il ne connaissait pas ses parents, savoir qu'ils avaient existé et qu'il ne pourrait jamais les connaître avait laissé à Myho un arrière-goût amer. Il éprouvait un manque : pas de ces personnes qu'il ne connaissait pas, plutôt de quelque chose qu'il aurait pu avoir. Mais il avait Reevend. Et s’il en voulait à ceux qui l'avaient fait orphelin,il n’avait pas l’idée de venger ces inconnus. Seulement, désormais, il considérait différemment ces groupes apparemment inoffensifs. Il s'en voulait de ses élans de curiosité envers les autres gens, et quand ils en croisaient ses sentiments se partageaient surtout entre la crainte et la répulsion. Il avait grandit.

 Reevend toussait de plus en plus souvent, et de plus en plus fort. Son pas était plus lent, aussi. Maintenant, c’était Myho qui les réveillait le matin, qui montait la garde aux heures les plus noires, qui lui indiquait de s’arrêter quand il entendait des craquements entre les arbres. La nuit, il se réveillait en sursaut, et passait une main par-dessus la bouche de son compagnon pour vérifier qu’il respirait encore.

 Plus tard, il se demanderait si les événements de ce soir-là auvaient vraiment changé quelque chose au sort de Reevend. Ils marchaient précautionneusement dans une forêt marécageuse. Son compagnon lui avait appris à tester la terre devant lui pour savoir où poser le pied. C'était lui qui les guidait ce jour-là. Ils auraient pu contourner ces bois, passer par un terrain plus sûr, mais Reevend avait insisté pour qu'ils prennent le chemin le plus rapide.

 Normalement, Reevend et lui bougeaient pour deux raisons : il ne faisait pas bon rester au même endroit quand on voulait éviter de se faire attaquer, et puis il y avait peut-être un endroit où la vie n’était pas aussi difficile. Souvent ils s'arrêtaient dans une zone à peu près hospitalière, ils la parcouraient, mais ils finissaient toujours pas s'éloigner après que les époques les plus rudes soient passées. Ils n'étaient jamais en sécurité dans ces endroits-là. Et Reevend avait entendu dire qu'il y avait mieux, quand il vivait encore avec d'autres gens : c'était ça, qu'ils cherchaient. Mais ils ne se dépêchait pas. C’était imprudent, et inutile, quand on ne savait pas ou on allait, lui avait dit le vieil homme. Sauf que ces derniers temps, il ne suivait plus ses propres conseils.

 Cette fois, quand ils essayaient de trouver leur chemin dans la lumière grise qui s’assombrissait d’un instant à l’autre, ils commirent une erreur : une chute. Il n'y avait rien de grave, mais le bruit attira quelqu'un. Une flèche se planta à côté de la tête de Myho comme il essayait d’analyser les sons autour de lui : il comprit qu'ils étaient pris en chasse. Ils parvinrent à s’éloigner, poussés par l’adrénaline et leur réflexes bien rodés. Mais pas moyen de s'enfuir facilement dans des marécages. Ils furent rapidement acculés.

 C’étaient deux hommes, contre un adolescent et un vieillard. Ils avaient dû croire que ce serait facile. Ils s'étaient trompés. Reevend, tous les jours, apprenait à Myho à se défendre. Il savait se battre. En un instant il avait réussit désarmer le premier homme, et à enfoncer son couteau dans le ventre du second, qui s'effondra dans un gémissement. Myho cependant avait le dessous avec l’autre. Reevend avait réussit à l’en débarrasser, et à mettre fin à sa vie, mais au pris d’une blessure à la jambe.

 Myho essaya de nettoyer la plaie du mieux qu'il pouvait, mais quelques jours plus tard, une odeur infecte se dégageait déjà du pansement de fortune. Reevend boitillait sur une canne, les dents serrés, contenant sa douleur. Myho ne comprenait pas pourquoi il fallait fuir si vite alors qu’il était si mal en point. Mais son compagnon refusait de se reposer. Et il ne pouvait que le suivre, la gorge serrée.

 Au lendemain du huitième jour, ils virent se dessiner au loin des murs. Myho n’avait jamais rien vu de pareil. C’était un assemblage étrange de matériaux ferreux. Ce n’était pas du tout comme les ruines. Et surtout, il vit des portes s’ouvrir dans les parois de métal. Il mit un moment à comprendre ce que ça impliquait. Il y avait des gens.

 Il s’était arrêté pour retenir Reevend qui avançait tout droit vers ça, croyant que le vieil homme n’avait rien vu. Mais celui-ci avait secoué la tête, indiquant qu'il n'avait pas commit d'erreur. Il lui fallu un moment pour arriver à parler, entre ses quintes de toux de plus en plus violentes.

- Non...Non...Tu dois…. aller là-bas.

Sa voix était hachée, et Myho avait sentit des larmes perler au coin de ses yeux avant même de tout à fait comprendre ce qu’il voulait dire.

- Quoi ?!

- Tu vas aller là-bas, avait répété Reevend, en se redressant de toute son autorité. Tu vas aller leur demander si tu peux les rejoindre.

- Mais...Ils vont me...

- Non. Tu dois aller voir...Ils sont assez...forts, pour se défendre, et toi aussi. Tu pourras t’en sortir là-dedans.

Il était mort dans la nuit.

Après avoir passée une main sur la terre meuble, Myho s’était relevé. Complètement seul, pour la première fois de sa vie. Il s’était demandé quoi faire, un instant terrible, l’hésitation l’avait prit au corps dans le vent glacial. Puis c’était retombé. Il avait enfoncé ses mains gelées dans le manteau de Reevend, et après un dernier regard en arrière, s’était engagé dans la plaine, tout droit en direction des murs.

Malgré la tristesse et la fatigue qui pesaient sur lui, il avait sentit l’excitation se joindre à la crainte comme il s’approchait des parois. A quelques mètres, les portes avaient tremblé. Il s’était arrêté, prêt à fuir au moindre signe de violence. Mais les deux battants s’étaient seulement écartés, et il avait distingué quelqu'un s'avancer prudemment dans l’aube froide. L’homme était venu à sa rencontre.

- Il est tôt, pour arriver.

 Myho avait ouvert la bouche, mais il n’avait pas su quoi dire tout de suite, traversé par la brusque réalisation qu’il n’avait jamais parlé à personne d’autre que Reevend de toute sa vie.

- Je...Je voudrais vous rejoindre.

 Et c’était si étrange de pouvoir dire quelque chose comme ça. De voir tellement de gens autour de lui, dont il n’avait pas besoin de se cacher. Il ne pouvait pas s’empêcher de les dévisager, tous, et eux ne s’en privaient pas non plus. Il en avait le tournis en suivant l'homme à travers le camp, ce qui l’avait conduit dans un bâtiment qui n’était pas une ruine. On lui avait posé des questions. Myho aussi, leur demandait des choses, parce qu’il ne comprenait pas les trois-quart des mots qu’ils utilisaient. Que voulait dire un « dôme » ? Un « clan » ? Un « contagieux » ? Ou un « âge » ? Parlaient-il une langue différente ? Mais ce n’était pas ça, il y avait juste tellement d’autre choses que ce que Reevend lui avait apprit, même s’il lui en avait appris une quantité. On examina son corps à la recherche de maladie, et n'en trouvant pas, lui attribua « 17 ans » et l’autorisa à rester à l’essai.

 C’était difficile de comprendre et de s'adapter. Il ignorait tellement de choses de ce monde dont il ne soupçonnait même pas l'existence. Les meubles, les bâtiments, l’électricité, et surtout tous ces gens qui l’entouraient. C'était peut-être ça le plus difficile. Il ne savait jamais comment communiquer avec eux. Souvent, les conversations s’éteignaient d’elles même tandis qu’il cherchait désespérément à se souvenir du sens de tel ou tel mot.  Même avec celui qui s’occupait de le guider et de le surveiller, avec qui il avait passé un certain temps Il y avait des discussions sur le temps ou le goût de la nourriture, et ça, simplement, le dépassait. Ils ne parlaient jamais beaucoup, avec Reevend.

 On avait finit par le cataloguer parmi les gens étranges, mais inoffensif. Il y en avait d’autres, comme lui, qui avaient passé beaucoup de temps loin de la société avant d’en rejoindre une et ne savait pas quoi y faire. C’était avec ces personnes-là qu’il s’entendait le mieux : silencieuses, méfiantes, hésitantes. Ils échangeaient des signes de tête dans la rue, des regards quand les autres habitants faisaient quelque chose dont la logique leur échappait. Ils ne parlaient pas vraiment. Il leur arrivait quelquefois de s’asseoir dehors, sur le sol, pour surveiller, au cas où.

 Son nouveau métier était finalement ce à quoi il passait le plus clair de son temps. Il n’était pas difficile pour lui de changer un objet abandonné en quelque chose d’autre, car il ne savait même pas à quoi correspondaient les objets de toute manière. Et il avait toujours été doué pour fabriquer des choses. Il s’intégra facilement au sein des autres travailleurs même s'il gardait ses distances.

 Le temps passait. Il trouva son équilibre. Quelque chose de précaire, mais d’immobile. La vie était rude, mais il parvenait à l’affronter, une fois après l'autre. Il pansait ses blessures, réchauffait son corps glacé contre le feu, et calmait son estomac vide.

   Et quelque fois, il pensait à ça, quand la nuit ne suffisait pas à l’endormir, quand le froid mordait sa peau et qu’il devait se lever et marcher et retomber par terre et poser sa main devant lui pour la regarder avec étonnement que ça soit toujours là bien vivant. Ce n’était pas combien de temps il y arriverait. C’était, est-ce qu’il y avait quelque chose d’autre ? Que survivre ?

 Peut-être pas. Il finissait toujours par refermer les yeux.

 

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